L’IMPASSE DE L’AGRICULTURE PRODUCTIVISTE
Posté par 2ccr le 28 mai 2014
Les nuisances sociales, écologiques et humaines sont particulièrement marquantes dans le domaine agricole. L’accumulation du capital, soutenue par l’idéologie du productivisme, a joué un rôle majeur dans la destruction de la paysannerie dès le milieu du XIXe siècle, processus qui s’est accéléré après la Seconde Guerre mondiale. Et pourtant aujourd’hui, les paysans ne sont toujours pas morts, Silvia Pérez-Vitoria dans « Les paysans sont de retour », aux éditiond Actes Sud, parle même d’un retour des paysans.
L’Union européenne et les États-Unis négocient en secret le grand marché transatlantique. Abolissant les barrières douanières tarifaires et non-tarifaires, il vise à démanteler les normes limitant les profits des multinationales. Grâce à une agriculture rendue « plus compétitive » par la médiocrité des protections sociales, sanitaires et environnementales, une structure agricole favorable (13 ha pour une ferme moyenne dans l’Union européenne contre 170 aux États-Unis, 57 emplois sur 1 000 ha dans l’UE contre 6 aux USA), la déferlante de produits agricoles étatsuniens poussera notre agriculture à s’engouffrer encore davantage dans le modèle agro-industriel, l’alimentation animale maïs-soja au détriment des prairies et protéines, la concurrence accrue et la contraction des coûts de production avec leur cortège de concentration croissante des exploitations, de spécialisation des régions et de réduction drastique des emplois agricoles. Circuits courts, pratiques agroécologiques, produits agricoles de qualité et agriculture paysanne seraient considérablement menacés. La porte sera ouverte à la volaille désinfectée au chlore, le bœuf aux hormones, le porc dopé à la ractopamine et les OGM agricoles.
C’est aussi la logique du projet de la « ferme » dite « des 1 000 vaches » du groupe Ramery en installant la plus grande ferme-usine de France, concentrant 1 000 vaches dans un bâtiment de 200 mètres. Elles produiront du lait à un prix cassé, leurs déjections iront servir de carburant dans un énorme méthaniseur de 1,5 Mw dont le digestat sera répandu sur 3 000 ha de terres détournées de leur vocation alimentaire. Le bilan est prévisible : vaches emprisonnées, foncier gelé, lait bradé, paysans disparus et emplois précarisés, pollution des sols et de l’eau, risques sanitaires et industriels. Le lait serait vendu 270 euros/t alors que les éleveurs ne s’en sortent pas au prix actuel de 350 euros/t : de nombreuses exploitations ne pourront survivre. Quant aux emplois, une dizaine seulement (précaires pour la plupart) seront créés pour gérer les animaux et la traite du lait, alors que les exploitations agricoles que le projet fera disparaître en comptent plus de quarante. Toute la filière laitière est menacée, le lait devenant un sous-produit de la méthanisation. les élevages industriels maltraitant les animaux et celles et ceux qui y travaillent, les records de pollution durable des rivières et des eaux côtières.
Dans l’agriculture productiviste, l’unité de base est l’exploitation agricole. Des décisions « prises ailleurs » s’imposent avec pour objectif toujours plus de volumes et des prix toujours plus bas, cela pour une rentabilité financière maximale. Les exploitants n’arrivant plus à augmenter les rendements depuis les années 80-90 avec le paquet technique de la révolution « verte », la seule manière d’augmenter les volumes par travailleur est l’agrandissement. Il s’ensuit un besoin constant de recapitaliser, surtout par l’emprunt. Les banques ont alors un énorme pouvoir dès le premier problème de trésorerie. Pour les ventes, les gros volumes ne peuvent être écoulés qu’en filières longues. Les exploitants sont alors dépendants des opérateurs en amont de la filière. Quant aux prix de vente, ils sont écrasés par les cours mondiaux et l’hégémonie de la GMS (Grande et moyenne surface) dans les négociations. Rappelons que les denrées alimentaires de base subissent des spéculations en bourse, induisant famines et émeutes de la faim comme en 2008. Pour les exploitants, les prix de vente ne permettent pas de vivre financièrement de leur travail, notamment en grandes cultures et en élevage où les subventions représentent de 50 à 100 % des revenus. Le recours aux subventions de la PAC (politique agricole commune), avec ses conditions, entraîne un pilotage bureaucratique des exploitations.
En pratique, les intrants ne cessent d’augmenter (mécanisation, carburant, pesticides, désherbant et matériel génétique sélectionné), avec leurs impacts écologiques (pollutions, réchauffement global et perturbations locales) et sur la santé humaine (cancer, fertilité, etc.). Sur le plan moral et psychologique, le niveau de souffrance est énorme, les perspectives moroses (500 suicides sur 3 ans entre 2007 et 2009. Nombre de parents dissuadent leurs enfants de reprendre. Le vieillissement de la population s’accélère. La population agricole continue sa chute vertigineuse. Le modèle productiviste a montré son incapacité à nourrir la planète. Le marché de la faim permet seulement à ceux qui en ont les moyens d’acheter leur nourriture. Le problème de la faim dans le monde est un problème d’exclusion, non pas de production quantitative ou de distribution alimentaire. Le productivisme et le capitalisme sont les responsables. L’agriculture productiviste est vouée à un échec certain, question de temps, de crise énergétique, climatique ou écologique, de révolution ou de révolte.
Le bilan du capitalisme et de son modèle agricole productiviste est catastrophique : ils nous précipitent dans le mur. Les crises sanitaires, sociales et alimentaires de ces dernières années condamnent ce système et appellent un nouveau modèle agricole qui sera agroécologique ou mortifère. La comparaison entre l’agriculture productiviste et l’agroécologie paysanne permet de comprendre les logiques, les processus, et vers où elles nous mèneraient. L’agriculture productiviste n’est pas une fatalité et l’agroécologie modifiant l’ensemble de notre société est un vrai projet anticapitaliste.
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