LA FRANCE CHAMPIONNE DES DEPENSES PUBLIQUES ?

Posté par 2ccr le 24 mai 2015

franceL’Etat, les collectivités locales et les autres administrations publiques françaises ont dépensé ensemble l’équivalent de 56,6 % du produit intérieur brut (PIB) en 2012, selon les données d’Eurostat, l’organe statistique européen. Ce chiffre place la France sur la deuxième marche du podium des dépenses publiques les plus élevées dans l’Union européenne, derrière le Danemark (59,4 %), soit 6,7 points de PIB au-dessus de la moyenne de la zone euro (49,9 %). Ces chiffres ne sont pas le signe que nos services publics coûtent plus cher qu’ailleurs, mais que, pour l’essentiel, notre pays a opté pour une réponse collective et moins inégalitaire aux besoins sociaux, quand d’autres laissent faire le marché. Les écarts observés entre pays résultent donc pour l’essentiel d’une question de tuyauterie, qui mérite d’être expliquée.

Ce qui détermine le niveau de vie d’un contribuable n’est pas simplement son revenu après impôt mais ce qu’il doit débourser pour bénéficier de tel ou tel service collectif. Ainsi, les Britanniques doivent davantage payer par leurs propres moyens que les autres Européens pour s’assurer une retraite ou payer l’école de leurs enfants, celles-ci étant moins financées par l’impôt qu’ailleurs. A l’inverse, ils ne déboursent rien chez le médecin ou à l’hôpital, parce que leur système de santé est largement financé par la collectivité.

In fine, le niveau des dépenses et des recettes publiques dépend de la nature (publique ou privée) des canaux utilisés pour financer ces services collectifs. Le plus gros de l’écart observé entre la France et ses voisins provient du système de retraite : il prend dans l’Hexagone la forme d’un service public alors qu’il relève souvent ailleurs de régimes privés. Pour le citoyen, au bout du compte, il reste à peu près la même chose dans son porte-monnaie. Parfois moins : les retraités anglais, dont les pensions ont été laminées par la crise boursière, peuvent en témoigner.

 Le train de vie modeste de l’État

 Plongeons dans le détail des données. Pour certains postes, la France dépense davantage que la moyenne européenne : 3,9 points de PIB en plus pour son système de protection sociale et 4,3 points de plus pour un ensemble de dépenses publiques comprenant, pour l’essentiel, l’éducation, le logement, les équipements publics et la santé. Sur d’autres postes a contrario, elle dépense moins. Notre administration des services publics (les services généraux) nous coûte presque un point de PIB de moins qu’ailleurs : difficile donc de mettre en cause le « train de vie » de l’Etat. De même, la France injecte moins d’argent dans les « Affaires économiques », un vaste fourre-tout comprenant la construction des routes, le soutien à l’agriculture et à l’industrie, etc. Sauf que c’est en partie le résultat d’un pur effet comptable : l’Insee reconnaît avoir comptabilisé par erreur le poste des routes dans la rubrique « Equipements collectifs ».

Au passage, une grande partie des commentateurs utilisent l’expression « dépenses publiques » pour parler des dépenses de l’Etat, sans bien savoir de quoi il s’agit. En France, les dépenses de l’Etat ne représentent que 22,3 % du PIB, une part très inférieure à la plupart des autres pays d’Europe. Celles-ci atteignent 45,2 % du PIB au Royaume-Uni et 28,6 % en Italie. Seuls des pays très décentralisés (les dépenses passant par le biais des collectivités locales) comme l’Espagne (20,8 %) et l’Allemagne (13,9 %) sont nettement en-dessous.

 Les services publics sont-ils de qualité ?

L’idée qu’en matière de services publics les Français n’en ont pas pour leur argent est de plus en plus courante. « [La France] est rarement au premier rang pour l’efficacité de ses politiques publiques », indique même Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes. Pourtant, les performances sociales de l’Hexagone suggèrent que ses services publics ne sont pas si inefficaces.

Les salariés français sont parmi les plus productifs au monde, en partie du fait de leur haut niveau de formation. Le système de santé n’est pas tout à fait étranger à l’espérance de vie des femmes françaises, l’une des plus élevées de la planète. La pauvreté est en France parmi les plus faibles au monde, notamment parce que notre système protège les plus démunis (personnes âgées, familles monoparentales, familles nombreuses…).

Si la qualité des services publics était si mauvaise, comment expliquer l’attachement de la population au modèle social en vigueur ? Année après année depuis dix ans, le baromètre de l’opinion des Français sur la santé et la protection sociale, réalisé par le ministère des Affaires sociales, indique que la moitié de la population estime que l’Etat n’intervient « pas assez » sur le plan économique et social, contre 27 % qui pensent l’inverse, et ceci dans un contexte médiatique très critique de l’intervention de l’Etat. Pas moins de 62 % jugent normale la part du revenu national consacrée au financement de la protection sociale, contre 20 % qui la jugent excessive et 15 % insuffisante.

 Tout est dans les retraites

Entrons dans le détail des chapitres où la France paraît trop dépensière. Celle-ci consacre 24,4 % de sa richesse à la protection sociale, soit presque 500 milliards d’euros, l’équivalent de dix fois le budget de l’Education Nationale. C’est 4 points de PIB de plus que la moyenne européenne. Mais ces « dépenses » ont un caractère particulier : pour une grande part, elles ne font que redistribuer de la richesse. Elles constituent un revenu direct pour les ménages : allocations chômage, logement et familiales, minima sociaux, pensions de retraite, etc.

Où se loge l’écart à l’intérieur de cet immense ensemble ? L’évidence saute aux yeux : la France se distingue vraiment dans un seul domaine : les retraites. En 2012, elles représentaient 13,8 % du PIB, contre de 8 % à 11 % dans la plupart des autres pays européens. Seule la Grèce fait plus avec 15 %, l’Irlande n’arrivant qu’à 4,6 %.

Même en divisant par deux le coût de nos onéreux régimes spéciaux de retraite, on ne gagnerait que 0,2 point de PIB. Sans rapport avec nos 4 points d’écart. L’explication est d’abord démographique : l’ampleur et la durée inégalées du baby-boom dans l’Hexagone, mais aussi la progression du taux d’activité féminin font de la France l’un des pays où les retraités pèsent le plus lourd. En outre, notre espérance de vie est parmi les plus élevées au monde.

On en revient à la question des tuyaux : si l’on ne prend en compte que les systèmes de retraites obligatoires, le taux de remplacement est plutôt élevé en France : 60 %, contre 54 % en Allemagne et 37 % au Royaume-Uni, selon les données de l’OCDE. Mais si l’on intègre les systèmes volontaires d’assurance retraite, les taux se rapprochent. Ce que les salariés britanniques ou allemands ne paient pas en cotisations, ils le versent néanmoins sous forme d’épargne retraite. Par rapport à ses voisins, le système français a le double avantage d’être plus égalitaire et moins risqué.

Illustration avec l’Allemagne : si l’on s’en tient aux données sur les dépenses publiques de retraite, 4,4 points séparent les deux pays. Si l’on ajoute les systèmes privés, l’écart n’est plus que de 1 point, écart qui s’explique facilement par des facteurs démographiques. Résultat : l’excès de dépenses français en matière de retraites est un leurre : environ 4 points sur les 6,7 qui nous séparent de la moyenne se sont envolés.

 Des écarts expliqués ou justifiés

Même constat pour les dépenses qui relèvent de l’Etat et des collectivités locales. La France dépense 0,6 point de plus que la moyenne pour sa défense, parce qu’elle a développé un arsenal très autonome. Avec 2,4 points de PIB, le Royaume-Uni y consacre 0,5 point de PIB de plus que nous. L’Allemagne, quant à elle, affecte à ce poste 0,8 point de PIB de moins.

Un autre point sur les 6,7 points de PIB d’écart constatés a trait à la santé. Si l’on rapporte ses dépenses à sa richesse, la France consacre à ses hôpitaux à peu près autant que la Grèce, deux fois moins que le Royaume-Uni et moins que la majorité des pays. Mais elle dépense plus dans sa médecine ambulatoire (celle qui ne passe pas par l’hôpital, comme le médecin généraliste) et les médicaments. Les Français en consomment trop et à des prix trop élevés.

Même écart d’un point de PIB dans le domaine du logement et des équipements collectifs (bâtiments publics, eau, traitement des déchets…). C’est ici que l’on retrouve nos routes, qui auraient dû être comptabilisées dans le chapitre « Affaires économiques ». Ce qui ne fait que déplacer le problème. La France dispose d’infrastructures de transport parmi les plus modernes au monde, aux prix d’investissements élevés, ce qui bénéficie aux entreprises du secteur.

Avec 1,1 point de PIB de plus que la moyenne, les dépenses d’éducation constituent le dernier grand poste dans lequel la France creuse l’écart. Elle dépense cependant moins par élève que ses voisins pour le primaire et l’enseignement supérieur. Pour le primaire, parce que le nombre d’élèves par classe est important et que les salaires des professeurs des écoles sont plus faibles qu’ailleurs. Dans l’enseignement supérieur, parce qu’il est assuré en grande partie dans des cours en amphithéâtre à l’université, alors que l’addition est bien plus lourde pour les autres filières sélectives.

Pour le secondaire, notre pays n’est guère plus généreux que les autres pays de l’OCDE, si l’on excepte la Turquie, le Mexique ou le Chili. Avec 10 800 euros par élève, la France se situe en 7e position sur les 14 pays les plus développés, loin derrière la Norvège, le Danemark ou les Etats-Unis. L’écart au global s’explique par le nombre d’élèves. La France a vu sa natalité se redresser au milieu des années 1990 : les jeunes nés à partir de cette période peuplent le secondaire.

 Des pratiques comptables différentes selon les pays

Pour tenter d’y voir clair en matière de dépenses publiques, il faut se plonger dans les données d’Eurostat, établies sur la base d’une nomenclature internationale baptisée Cofog (Classification of the Functions of Government). Un exercice auquel peu se risquent. En pratique, les nomenclatures nationales et les pratiques des comptables publics sont loin d’être unifiées. « Les conventions et imprécisions de mesure expliquent des écarts entre les taux de prélèvements obligatoires des différents pays qui peuvent aller jusqu’à deux points », note un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires sur le sujet. Autrement dit, la façon de comptabiliser certaines dépenses peut représenter l’équivalent du tiers de l’écart entre la France et la moyenne européenne.

 Dépenser mieux

Au terme de notre exploration, l’excès de dépenses publiques s’est évanoui : l’écart observé avec les autres pays résulte surtout de facteurs démographiques et de l’importance des régimes publics de retraite. Comme le concluait le Conseil des prélèvements obligatoires dans son rapport de 2008, les écarts entre pays viennent pour l’essentiel du niveau de protection sociale et de son mode de financement, différent. « Ces deux éléments, le second surtout, sont susceptibles d’expliquer non pas quelques points de différence entre taux de prélèvements obligatoires, mais beaucoup plus (jusqu’à 15-20 points entre le taux le moins élevé et le taux le plus élevé) », indiquaient les rapporteurs.

Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas faire des économies : tout en dépensant autant que les autres, on peut dépenser trop par rapport au service rendu. Des économies sont possibles, a rappelé la Cour des comptes dans son rapport publié en 2013. On pourrait par exemple réduire le coût d’administration des équipements collectifs, supprimer les compétences qui font doublon au niveau local, réviser les contrats de commandes publiques lucratifs pour le privé, rogner sur certains avantages obsolètes en matière de retraites, gagner sur le prix et la quantité de médicaments. On devrait aussi supprimer la plupart des niches fiscales  ou lutter bien davantage contre la fraude fiscale et sociale.

Sauf à attendre une reprise miracle de la croissance, faire des économies apparaît incontournable pour répondre aux nouveaux besoins sociaux : créer davantage de places en crèche, construire des logements sociaux, investir dans l’éducation, etc. Autant de domaines où l’intérêt de dépenses supplémentaires est reconnu au-delà des clivages politiques, mais pour lesquels les moins favorisés seront pénalisés si c’est le marché qui répond aux besoins. Le problème n’est pas tant de dépenser plus ou moins que de dépenser mieux.

Extrait du magazine Alternatives Economiques hors série n° 103, décembre 2014.

« Lorsque tout sera privatisé, nous serons privés de tout ! »…C.LOGIC

Et sur les fonctionnaires …

2 Réponses à “LA FRANCE CHAMPIONNE DES DEPENSES PUBLIQUES ?”

  1. ponts et chaussées dit :

    Pourquoi voulez-vous mettre les routes dans le domaine des affaires économiques ? A part les autoroutes et les voies express, elles sont ouvertes à tous.

  2. MULLE dit :

    Très bel article de fond qui replace bien le contexte des dépenses publiques.

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