Le monde change
Posté par 2ccr le 7 juillet 2024
D’après un texte d’Élisabeth Martens (A)
La guerre en Ukraine a mis au jour le gouffre qui s’est creusé entre la Chine, les pays émergents et nos pays « démocratiques » (entendons : libéraux, capitalistes) d’autre part. Dans un avenir proche l’échiquier politique mondial sera redessiné. Exemple avec la crise ukrainienne : la construction d’une coalition mondiale contre la Russie telle qu’aurait voulu la construire l’OTAN est un cuisant échec, la plupart des pays émergents n’ont pas suivi. Aucun d’entre eux n’a imposé de sanction à la Russie ou livré d’armes à l’Ukraine. (1)
Leur méfiance vis-à-vis des « démocraties » occidentales n’est pas nouvelle, elle date au moins des interventions en Irak et en Libye, lorsque le principe du respect de la souveraineté territoriale des États a été bafoué par les États-Unis. Depuis les pays émergents parlent d’un Occident « hypocrite » et, même s’ils désapprouvent l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ils sont loin d’affirmer que la Russie est la cause première de la guerre. Ils considèrent plutôt l’expansionnisme de l’Otan comme une réelle menace pour la Russie et se demandent pourquoi les « grands moyens » ne sont déployés que lorsque la tragédie a lieu sur le sol européen : depuis des décennies, le continent africain est dilapidé par de multiples guerres menées « par procuration » par l’Occident. Et aussi : pourquoi tant d’intransigeance vis-à-vis de la Russie et une telle indulgence vis-à-vis d’Israël ? (1)
Faut-il rappeler que l’OTAN, fondée après la Seconde Guerre Mondiale en vue de s’opposer au Bloc de l’Est, aurait dû être dissoute lors de la chute du Mur de Berlin ? C’est ce qui était convenu. Au lieu de cela, le monde libéral (États-Unis et alliés européens) n’a fait que renforcer l’Alliance ; au lieu des douze de départ, elle compte à présent trente pays. En février dernier, ils ont signé de nouveaux engagements en faveur de l’acquisition de systèmes garantissant leur accès aux technologies de pointe dans les domaines de la défense aérienne, de la défense chimique, biologique, radiologique et nucléaire (CBRN). Pour la première fois de son histoire, l’OTAN a associé à une partie de ses débats les dirigeants de quatre nations d’Asie-Pacifique : la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud, l’Australie, le Japon. Motif : l’ordre international libéral (comprenons : le capitalisme) pourrait être mis en danger par « l’agressivité croissante de Pékin ». (2)
Aucune mention n’est faite des multiples bases militaires étasuniennes qui encerclent la Chine, ni des recherches et activités militaires biologiques des États-Unis tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de son territoire, ni du partenariat de sécurité « Aukus » réunissant l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, ni des milliards de dollars délivrés par les pays de l’OTAN et par le Pentagone à l’Ukraine ne faisant que prolonger la guerre. La rencontre récente entre Poutine et Xi Jinping a été ressentie par nos « démocraties » comme une propagation de la menace russe à la Chine, « une sorte de quasi-alliance des régimes autoritaires ». (2)
A l’opposé, Poutine et Xi Jinping se sont entendus pour dire qu’il n’existe pas de « démocratie supérieure », autrement dit, la démocratie à la chinoise ou la russe, ça fonctionne aussi ! Il est vrai que nous sommes très mal placés pour donner des leçons de démocratie avec un Macron qui vote la réforme des retraites contre l’avis de la majorité de la population française, avec un Biden qui avait promis de ne pas autoriser de nouveaux forages pétroliers en Alaska alors qu’il vient de les approuver, avec le Japon rejete dans l’océan les eaux contaminées par des substances radioactives de la centrale nucléaire de Fukushima, etc., les exemples foisonnent !
Et que dire des caméras de surveillance dont on est persuadé que c’est la Chine qui en compte le plus, alors qu’il suffit d’une calculette pour savoir qu’il y en a 33 fois plus à Londres qu’à Pékin ? (3). Comment se fait-il que l’UE détourne le regard face à la surveillance de masse d’Israël (5) ? On peut trouver nombre de contre-exemples qui font de la Chine un pays moins autoritaire qu’on ne le pense. Même démocratique à certains égards : nos portables sont-ils munis d’applications qui permettent au quidam de prévenir immédiatement les autorités compétentes lorsqu’il constate l’empoisonnement d’une rivière, la pollution d’une terre agricole, le débordement d’une décharge, la contamination d’une nappe phréatique ? En Chine, ce genre d’applications existe, elles sont largement utilisées par les internautes (4). Pour le gouvernement, c’est une fenêtre ouverte sur l’avis du public, un moyen efficace pour prendre la température sociale en ce qui concerne l’environnement. C’est aussi un moyen de diffuser les stratégies de gouvernance environnementale et cela donne au public la possibilité d’y réagir. Ce genre d’exemple ne fait évidemment pas de la Chine un pays plus « démocratique » que les nôtres, mais cela relativise les termes de « démocratie et de totalitarisme ».
Les alliances pour contrer l’eurocentrisme et l’hégémonie étasunienne se sont multipliées depuis le début de ce siècle. Au départ, leur moteur était la lenteur des négociations internationales pour réduire les dettes des PFR (pays à faibles revenus), puis il y eut la parcimonie dans la mise en place de fonds mondiaux destinés à financer l’adaptation et les réparations des effets d’ores et déjà incalculables du réchauffement climatique dans les pays pauvres. Actuellement, les alliances sont favorisées par les retombées économiques de la guerre en Ukraine suite à la chute des exportations ukrainiennes et russes de céréales et à la hausse des prix des produits pétroliers (1).
La première alliance fut celle des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine en 2009, puis Afrique du Sud en 2011), elle a fait décoller l’économie des pays émergents. Cet élan fut suivi de la « Belt and Road Initiative » (BRI) lancée par Xi Jinping en 2013. La BRI est devenue le symbole d’une possible coopération mondiale sur le plan économique. Récemment, l’Union économique eurasienne (UEE créée en 2014) réunissant la Russie, le Kazakhstan, l’Arménie, la Biélorussie et le Kirghizistan s’est associée à la BRI. En 2020, c’est un « Partenariat régional économique global » (RCEP) qui a réuni 143 pays, soit plus de deux tiers des pays dans le monde ; tous ont signé des accords bilatéraux avec la Chine. À Moscou Xi Jingping et Poutine ont fait une « déclaration sur le plan du développement des priorités de la coopération sino-russe d’ici à 2030 » (5). Lors du premier sommet Chine-Asie centrale XiJinping y a invité les dirigeants du Kazakhstan, du Kirghizstan, de l’Ouzbékistan et du Tadjikistan. L’appel de la Chine à construire un avenir commun, partagé par l’humanité entière, semble jouer un rôle constructif dans la promotion du multilatéralisme. (6)
Ces multiples alliances ont d’importants dénominateurs communs : des relations économiques gagnant-gagnant, le retour au principe de non-alignement et non-ingérence dans un pays tiers, chaque pays jouissant d’une autonomie réelle concernant sa politique intérieure, et la volonté de « dédollariser » les échanges internationaux. Le dollar serait remplacé par le yuan dans les échanges économiques entre la Russie, l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine.
En septembre 2021, Xi Jinping a lancé l’Initiative pour le développement mondial (Global Development Initiative) mettant en perspective la Chine comme leader mondial dans les domaines du développement durable, de la santé publique et de la réduction de la pauvreté. Ce projet a l’ambition de déclasser l’économie de marché au profit d’une économie mise au service de l’environnement et de la société.
L’importance des activités de Xi Jinping se reflète dans le fait que nombre de ses initiatives ont acquis une portée mondiale. Le concept de Communauté de destin commun de l’humanité a été inclus dans les documents des Nations unies et d’autres organisations internationales. C’est justifié, car les actions du président de la République populaire de Chine correspondent aux espoirs les plus importants que nourrissent tous les peuples de notre planète. Aujourd’hui, ils placent des espoirs particuliers dans le développement de la Chine en tant que pôle mondial d’un nouvel ordre mondial juste (4).
Notes :
(A) Chine-écologie.org, le 29/03/2023 : « Insécurité mondiale, menaces pour la planète ». (1) Cetri.be, le 21/03/2023 : « Guerre en Ukraine : pourquoi les pays émergents ne s’alignent pas sur l’Occident ». (2) Les échos, le 28/06/2022 : « les démocraties d’Asie pacifique tentent de mobiliser l’Otan sur la menace chinoise ». (3) En superficie : Londres 1.572 km² => 620.000 caméras soit 1 caméra par 2.53 m²; Péking 16.411 km² => 46.000 caméras soit 1 caméra par 357 m². En nombre d’habitants (chiffres de 2019) : Londres 9 millions soit 1 caméra par 14 habitants ; Péking 21.5. (4) Histoire et Société, le 19/07/2024: « Dmitri Novikov : Les peuples de la planète considèrent la Chine comme une alternative de justice ». (5) Les crises.fr, le 11/06/2024 : « L’UE détourne le regard face à la surveillance de masse d’Israël »
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